DES QUERELLES JUVENILES AU DRAME PASSIONNEL

21/10/2024

Lucien DABREZA naît le 01 janvier 1876 à la Possession (974) au domicile de sa mère Marie Françoise DABREZA à la ravine des Lataniers. Aucune mention de son père n'est stipulée dans son acte de naissance. Il est le dernier d'une fratrie de 8 enfants :

Alphonse, Edmond 1853

Louis 1856

Joseph 1863

Marie Berthe 1865

Marie 1868

Marie Françoise 1871

Alphonsine 1873

Lucien 1876

Lucien était un querelleur irascible depuis son adolescence. Adulte, il mesurait 1,65 m. Ses cheveux, ses sourcils et sa barbe étaient noirs. Il avait un nez aquilin, une bouche moyenne, son menton était plutôt rond, son visage était ovale avec un teint brun foncé. Une cicatrice apparaissait sur son sourcil droit et une autre sur la jambe gauche. Il était célibataire sans enfants.

À ses 20 ans, Lucien fréquenta Alphonsine JUVÉNAL. Elle était tout juste âgée de 17 ans pour sa part. À cette époque, il était plutôt fluet et elle est bâtie solidement avec une tournure d'amazone, disait-on. Leurs journées commençaient avec des chansons et se terminaient gaiement. Cependant, leur amour a vécu le temps d'un printemps.

Quelque temps après leur brusque séparation, le feu prenait au modeste nid qui avait abrité les deux jeunes amoureux. Lors de l'enquête, Alphonsine aurait dit au commissaire de police de la Possession que le mobilier de Lucien ne consistait qu'en une petite table de bois piqué (quatre petits bois fichés en terre sur lesquels on a cloué une ou deux planches).

Tous les jours et à chaque fois qu'ils se rencontraient, Lucien lui disait : Comment, Alphonsine, tu as eu le cœur de dire ça au commissaire ?

Un après-midi du 29 juin 1898, il devient menaçant. Alphonsine en compagnie de son plus jeune frère, qu'elle était allée prendre à l'école, gravissait la montée José et rencontrait Lucien, assis sur le bord du chemin, qui adressa les mêmes reproches. Alphonsine riposta vivement. Lucien s'élança sur elle et lui porta un coup de couteau qui lui déchira son corsage et sa robe, lui faisant une éraflure au ventre. Des passants voyant la scène s'interposèrent. À 22 ans, Lucien fut condamné le 21 juillet 1898 par le Tribunal Correctionnel de Saint-Denis à 10 jours de prison pour coups et blessures volontaires pour la première fois.

Alphonsine JUVENAL se maria quelques années plus tard avec un autre garçon de la localité.

Un an après ce grave événement, Lucien intégra le 9 octobre 1899 l'armée, sous le matricule 128, et devint soldat de 2ᵉ classe au 13ᵉ régiment d'infanterie de marine. Seulement deux mois après son incorporation, Lucien fut déclaré comme déserteur intérieur avec emport d'effets militaires.

Le 9 novembre 1899, il quitta la caserne en compagnie d'un de ses camarades pour se rendre à la Possession. Lucien se fixa dans une case qu'il possédait dans la grande ravine. Sa mère, le croyant en permission de trois jours, vint le prier de rentrer à la caserne, son congé étant expiré. Il n'en fit rien et son camarade s'empressa de rejoindre sa compagnie à Saint-Denis. Le 14 juillet 1900, il se présenta volontairement à la caserne.

Écroué immédiatement à la prison centrale de Saint-Denis, il fut mis en observation à l'hôpital militaire. Il prétend avoir déserté sous l'empire d'une crise nerveuse et qu'il ne se souvient de rien. Il avait emporté en désertant des effets militaires, retrouvés dans sa case par la gendarmerie. Trois témoins sont cités.

Le conseil permanent de révision séant à Saint-Denis se réunissait le 16 octobre 1900 à 8 heures au Commissariat de la Marine, à l'effet de statuer sur la demande de désistement formulée par le nommé DABREZA Lucien, condamné le 29 septembre 1900 à trois ans de prison pour désertion à l'intérieur.

Le 23 février 1901, il fut libéré parce qu'il a bénéficié de la loi du 27 novembre 1900 sur l'amnistie.

Le 29 octobre 1910, Lucien est de nouveau sous le coup d'une accusation et doit répondre de l'acte d'homicide volontaire sur la personne de FORTUNE Françoise devant la Cour d'Assises de Saint-Denis.

Lucien était sans emploi et sans ressources. Il fut recueilli par son frère aîné DABREZA Joseph qui l'aida à construire une case et constituer une plantation, par lesquelles l'accusé finit par jouir d'une situation indépendante.

Mais peu à peu, Lucien détourna de ses devoirs la concubine de son frère, FORTUNE Françoise dite « Mignonne ». Il prétendit même, à la fin, la ravir tout à fait pour aller vivre avec elle dans un autre quartier. Pour ce faire, il vendit tous ses animaux d'élevage, procéda à une espèce de liquidation de ce qu'il possédait et réalisa une quarantaine de francs.

Mignonne s'empara de cet argent afin, dit-elle à Lucien, « tu ne les gaspilles pas ».

Le mercredi 6 juillet, en ville, au lieu dit la montée José, vers 10 heures, Françoise dite Mignonne vaquait paisiblement aux travaux de ménage de son concubin, quand elle se trouva tout à coup en présence de Lucien. Il s'élança sur elle et l'assaillit à coups de couteau. Un pantalon qu'elle était en train de repasser fut tout tâché de sang. Il fut placé aux pièces à conviction.

Elle s'enfuit, voyant son farouche agresseur se ruer sur elle, le couteau levé, a reçu un violent coup à la jambe. Elle tomba et fut lardée de coups dans le dos. Les poumons, le foie, les intestins furent perforés, le cœur était intact. La malheureuse ayant pu se relever, probablement pendant que son agresseur aiguisait son arme, car une lime fut retrouvée sous le cadavre. Elle essaya de reprendre sa course tragique dans un sentier dans la montagne, mais affaiblie par la quantité de sang perdu, elle tomba de nouveau, cette fois à la renverse et à ce moment fut frappée avec acharnement dans l'abdomen et aux seins. Elle portait au total neuf blessures.

Fuyant le lieu où il venait d'accomplir son crime, il se rendit par des sentiers et des détours, bien connus de lui, chez une de ses sœurs, à deux kilomètres de la ville, dans les hauts de la Possession, lui demandant à manger, lui disant qu'il mourait de faim.

Son beau-frère l'ayant interrogé sur « son air tout drôle », il avoua cyniquement le forfait qu'il venait de se rendre coupable, et partit en ajoutant qu'il était résolu à tuer son frère aîné Joseph, auteur de son malheur et à se détruire lui-même, quand il se verra près d'être arrêté. Il était encore porteur de son arme homicide. Il fut arrêté plus tard et se reconnaissait coupable du crime.

Cependant, lors de son interrogatoire, il fut  en contradiction avec l'explication des faits. D'après lui, il trouva, sans la chercher, Mignonne occupée à cueillir du mimosa dans la montagne. Comme elle lui déclara qu'elle ne le suivrait pas, il vit rouge et la tua par amour.

Lucien prétendit également avoir acheté le couteau il y a plus d'un mois, pour tuer un porc. Alors que des témoins l'ont vu acheter le 3 juillet un couteau de boucher à 1 franc 25 à la boutique du Chinois Chane-Ayonne en ville. Ce détail semblerait donc prouver que Lucien avait longuement mûri son atroce projet et qu'il était bien résolu à le mettre à exécution.

Son avocat, Maître Oscar Lotois, un habile défenseur, déposa des conclusions pour renvoyer son client à la prochaine session afin de le faire examiner par trois médecins. Sa requête fut basée sur le fait que DABREZA Lucien depuis son enfance avait donné des preuves de déséquilibre mental et qu'il a été réformé du service militaire comme étant atteint d'épilepsie.

La Cour se retira et l'envoya à la prochaine session ordinaire et nomma trois médecins pour examiner son état mental.

Lors de la prochaine session ordinaire, le 30 janvier 1911, Lucien DABREZA fut condamné à 15 ans de travaux forcés pour homicide volontaire.

Le 21 août 1911, il fut écroué et embarqué le 30 décembre 1911 sur le streamer Loire à destination de la Guyane.

D'après les renseignements du bagne, avant sa détention, Lucien vivait du produit de son travail de cultivateur, il ne savait ni lire ni écrire. Pendant sa détention, il a apprit la confection des tiroirs des boites d'allumettes. C'était un assez bon ouvrier. Sa conduite était parfaite puisqu'il n'a connu aucune punition.

Il obtint une remise de peine de 4 ans sur la peine de 15 ans de travaux forcés du 30 janvier 1911 de la Cour d'Assises de Saint-Denis. Ce fut une décision présidentielle du 28 décembre 1918.

Lucien DABREZA mourut le 25 octobre 1921 à Saint-Laurent-de-Maroni en Guyane à l'âge de 45 ans. Il ne verra plus sa mère morte à l'âge de 92 ans en 1915, ni même ses frères et soeurs morts avant lui. Seul son frère Louis mourut après lui en 1922. 


*L'histoire a été ecrite à partir de divers articles de journaux comme la Patrie Créole ou le Peuple de 1910, de son dossier individuel du bagne en Guyane, de sa fiche militaire et de l'état civil sur l'Anom.
Il n'avait aucun lien de parenté avec ma famille.

LA POSSESSION 974
LA POSSESSION 974
ACTE DE NAISSANCE N°2 - ANOM
ACTE DE NAISSANCE N°2 - ANOM
Journal La Patrie Créole du 10 juillet 1910
Journal La Patrie Créole du 10 juillet 1910