FRERE LEOVIGILDE-CONSTANT

16/03/2024

Voici l'histoire du 4e religieux dans ma famille : Morel Rosély dit Frère Léovigilde-Constant.

Rappelons qu' il est le frère de sang de Jean Néré Morel dit frère Juvatien (voir son article sur ce blog).

Rosély est né le le 30 août 1841 à Saint-Joseph, il est le huitième d'une fratrie de dix enfants. Il est également le frère de mon aïeul Prosper Sosa 24.

Le 4 janvier 1865, le nouveau gouverneur de La Réunion, Marie Jules Dupré, prend ses fonctions, il a été nommé à la tête de la colonie en octobre 1864. Le gouverneur Dupré trouve La Réunion dans une situation économique désastreuse. Un séisme sucrier déstabilise toute le vie sociale et économique. La production sucrière qui est de 70 000 tonnes en 1862, est de 48 000 tonnes en 1865, et chute à 26000 tonnes en 1869.

C'est dans ce contexte désastreux que Rosély fit son noviciat le 11/11/1865 à Saint Denis, tout comme son frère, il aura la garantie du gîte et du couvert que ses parents ne peuvent plus lui offrir. Au moment de sa prise d'habit le 19/03/1866, il reçut comme nom Frère Léovigilde-Constant, fit son premier vœu le 13/09/1868, puis les renouvela de 1869 à 1882.

Parmi les vocations écloses de cet Institut dans cette belle colonie, celle de ce cher confrère fut une des plus sérieuses et des plus appréciées, Simple et laborieux ouvrier dans le monde, il vivait exactement fidèle à ses devoirs de chrétien, Une victoire, que la grâce divine lui fit remporter dans une circonstance où sa vertu fut exposée à une délicate tentation, fut pour lui le signal de l'appel à la vie parfaite. Il se présenta au noviciat de Saint-Denis, au début de sa vingt-cinquième année, en 1865.

Dès que fut achevée sa probation régulière, Léovigilde-Constant commença sa mission auprès des plus jeunes enfants. Ce fut l'apostolat de toute sa carrière religieuse, d'abord trois ans dans chacune des communautés de la Ressource et de Sainte-Marie, puis deux ans à Saint-Philippe et quatre ans à l'Entre-Deux, où il revint durant une période égale, après avoir fait un séjour de quatorze années à Saint-Joseph. De 1896 à 1911, il eut pour résidence la communauté de Saint Paul.

Partout où notre cher confrère fut placé par l'obéissance, il obtint un grand ascendant sur ses petits élèves dont il se faisait aimer et estimer, en même temps qu'il était fort apprécié des familles. Sa classe était un modèle d'ordre et de régularité, le silence, la bonne tenue, le travail tout marchait de pair. C'est surtout pendant les prières qu'un prenait plaisir à voir tout ce petit monde attentif, modeste, recueilli et prononçant distinctement les douces paroles de la prière. Leur piété à l'église était ravissante et édifiait singulièrement les fidèles. Un des anciens élèves du Frère Léovigilde-Constant devenu membre de notre Institut, rappelle avec bonheur les souvenirs que lui a laissés son vénéré maître. « Sa classe nombreuse, dit-il, était remarquable par l'ordre qui y régnait. De son bureau, qu'il ne quittait que très rarement, il voyait, dirigeait et contrôlait tout. Il se servait habilement de moniteurs, et il était très fidèle, suivant les prescriptions de la Conduite des Ecoles, à faire plutôt usage du signal que de la parole ; quant il parlait, il s'exprimait juste assez haut pour être entendu de ses élèves. »

« Notre cher confrère avait un talent remarquable pour inculquer aux jeunes enfants les premières notions de lecture, d'écriture et de calcul. Leur éducation était l'objet de sa constante sollicitude : politesse, bonne tenue partout, mais surtout à l'église, bonne conduite dans les rues, propreté du corps, des vêtements et des effets classiques, rien ne lui échappait. Ce qui me charmait et excitait le plus ma curiosité enfantine c'est l'habileté avec laquelle il faisait les réflexions pieuses : il savait les mettre à la portée de ses jeunes auditeurs, et il imaginait d'ingénieuses comparaisons pour les aider à en saisir les idées abstraites. Je me demandais d'où lui venait cette science, et je désirais déjà être grand et Frère moi aussi, pour faire comme lui. »

« La gravité du Frère Léovigilde-Constant caractérisait sa conduite en classe ; aussi tout son petit monde le respectait et le craignait, et l'on ne se doutait guère de sa religieuse et profonde affection. Venait-on à le quitter pour entrer dans une classe plus avancée, il continuait à suivre ses anciens élèves surtout dans leurs moments pénibles, alors il leur témoignait tant d'intérêt et de bonté qu'il réussissait presque toujours à l'amener le calme dans les coeurs et à adoucir les caractères aigris par quelque imprudence ou quelque excessive sévérité. Aussi, devenus hommes, ses anciens élèves trouvaient-ils leur bonheur à revenir, s'entretenir avec lui, lui raconter leurs peines, lui confier leurs espérances, lui demander des conseils ainsi que le secours de ses prières, dussent-ils à cet effet faire un long voyage ou modifier un itinéraire fixé d'avance. »

«Quant à moi, je suis heureux de dire qu'après Dieu, je suis redevable de ma vocation religieuse aux prières, aux sages conseils de ce bon frère, ainsi qu'à l'affection soutenue qu'il m'a témoignée pendant mon séjour à l'école. »

La santé de notre cher confrère ne fut jamais florissante ; c'est grâce à beaucoup de précautions hygiéniques qu'il parvint à un âge relativement avancé. II avait de fréquentes et pénibles insomnies; le matin, il n'en était pas moins très régulier à se lever à l'heure fixée et à se trouver à la chapelle avant la prière. Lui, qui pendant les récréations et au cours de la journée était très sobre de paroles, il se dédommageait en s'entretenant avec Notre-Seigneur dans ses longues visites au Saint-Sacrement. Cette dévotion débordait au dehors ; il la communiquait à ses élèves à qui il avait suggéré l'habitude de ne pas passer auprès de la chapelle de l'école sans y entrer pour adresser une courte prière à Jésus-Hostie. Les saintes âmes du purgatoire avaient aussi les prédilections du Frère Léovigilde-Constant, il y intéressait ses disciples. Dieu seul sait combien de sacrifices et de privations il s'imposait dans ce but, et le nombre de messes qu'il a fait dire, grâce à leurs petites cotisations volontaires. Sa piété filiale envers la très Sainte Vierge se manifestait par la récitation journalière du rosaire et l'usage constant du chapelet. Dans ses dernières années, il se plaisait à entretenir, autour de la statue de cette bonne Mère, placée à l'entrée de la maison, un parterre dont il cultivait les fleurs avec amour durant ses temps libres. Religieux exemplaire, scrupuleusement ponctuel à tous les exercices, communiant très fréquemment, notre cher confrère se distinguait encore par sa parfaite obéissance et sa cordiale charité fraternelle, de même qu'à l'égard des pensionnaires malades, dont il fut quelque temps l'infirmier dévoué. Il fut aussi chargé du soin de la lingerie ; il s'acquittait de cet emploi avec beaucoup de tact et à la satisfaction générale. Ses habits religieux, grâce aux soins dont il les entourait, étaient pour ainsi dire inusables, ce qui ne l'empêchait pas d'être toujours très proprement vêtu.

Devenu septuagénaire, frère Léovigilde-Constant commençait à ressentir les infirmités de la vieillesse. En 1911, il fut appelé à la communauté des anciens. à Saint-Denis, mais au printemps de 1912, il accepta avec empressement de reprendre une petite classe à Saint-Paul. On peut dire qu'il est mort les armes à la main. En effet, comme il devait repartir pour Saint-Denis, le 23 décembre 1913, il se rendit encore dans sa classe la veille pour y faire rentrer les bons points de ses petits élèves. Le soir même, il mit en ordre ses petites affaires et, se sentant un peu plus fatigué que d'habitude, il se retira plus tôt dans sa cellule. Vers six heures, notre cher confrère fait appeler le Frère Directeur qui lui trouva la respiration quelque peu gênée. Il témoigna le désir de recevoir l'extrême-onction. Sa situation ne paraissant nullement grave, le Frère Directeur le l'assura et l'engagea à se reposer. Une demi-heure après, le cher malade le fit appeler de nouveau et insista pour qu'on fît venir M. le Curé. On eût dit qu'il avait le pressentiment de sa fin prochaine. M. le Curé, fatigué lui-même demanda que l'on voulût bien attendre au lendemain, à moins d'un danger imminent. Un peu avant minuit, le Frère Directeur, qui l'avait laissé tranquillement endormi, entendant un bruit insolite dans sa chambre, accourut près de lui et le trouva assis sur son lit, respirant avec peine. M. le Curé, averti en toute hâte, arriva bientôt et donna au cher malade le saint Viatique et l'extrême-onction. Le docteur, qu'on était allé chercher, jugea le cas très grave, constata une paralysie des reins, et conclut à un empoisonnement du sang par l'urémie. II prescrivit les remèdes nécessaires pour soulager le patient, mais sans espoir de guérison, Le 24 décembre vers quatre heures du matin, Frère Léovigilde-Constant s'éteignit doucement, sans agonie, ayant conservé sa connaissance jusqu'à la fin.  

Cour d'entrée de l'établissement des Frères de Ecoles Chrétiennes de Saint Denis
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