LIBERTÉ CHÉRIE

11/12/2024

FERNAND – MATRICULE

 N° 36428



[1]Fernand DIJOUX est né le 11 avril 1873 à Saint-Louis (974), au domicile de ses parents, Henry DIJOUX et PAÜS Marie Joséphine, situé au lieu-dit l'Aloès, près de la localité du Tapage et d'Îlet Furcy. À l'époque de sa naissance, son père exerçait la profession de cultivateur, tandis que sa mère était sans emploi. La fratrie se composait de : Henri, né en 1857, Augustin en 1859, Marie Hermine en 1861, Joseph en 1864, Louis Marie en 1866, Marie Cécilia en 1870, Fernand en 1873, Marie Joséphine en 1875 et enfin Marie Octavie en 1879.

Son lien de parenté avec ma famille maternelle est dû au fait que son ancêtre Jean Baptiste, Siméon et le mien Alexis étaient frères.

[2]1873 : l'année de sa naissance débutait par un terrible ouragan. La quantité d'eau tombée le 7 février fut de 60 millimètres, le lendemain, elle était de 200 millimètres. En quelques heures, Je Quartier-Français offrit le spectacle d'un immense lac et la plaine de Saint-Paul, celui d'un étang mesurant 1 mètre 20 de profondeur. Sur la demande de nos députés, l'Assemblée nationale accorda à la Colonie un secours d'un million de francs. [1]

Aux tristes conséquences du cyclone et de la fièvre paludéenne vint se joindre une épidémie apportée par des Indiens de Maurice et qualifiée de fièvre dengue. Elle causa peu de mortalités, mais le nombre des personnes qui en furent atteintes dépassa les deux tiers de la population, au moins quant à la ville de Saint-Denis. Il en résulta un tel accroissement de misère que l'Administration se vit obligée à de nouvelles distributions de secours. [2]

1874 : la fièvre, qui décimait la population de Saint-Louis, nécessita des mesures spéciales de salubrité, non-seulement pour le quartier, mais aussi pour l'Etang Salé où l'Administration fit reboiser une superficie de 908 hectares de terrains achetés de 341 propriétaires. A la fin de mars, un ouragan frappa la région Sud de l'île ; la violence du vent, occasionna peu de dégâts, mais l'île entière subit une véritable inondation du 27 au 29. [3]

1875 : un éboulis eut lieu au Grand-Sable, le 25 novembre, à 5 h1/2 du soir. En moins de 5 minutes le pan Nord-Ouest des Salazes s'écroulait sous l'influence de pluies diluviennes et faisait disparaître un terrain de 2,000 mètres de long sur 1,500 de large. Soixante-trois personnes qui composaient le Hameau du Grand-Sable, hommes, femmes, enfants furent ensevelis vivants.

La catastrophe avait été précédée de secousses et de détonations. A quelques pas du théâtre du sinistre, une famille de six personnes fut transportée à 200 mètres plus, loin ; le sol glissant horizontalement avait laissé debout et intacts la maison et les arbres qui l'avoisinaient. Un mois ne s'était pas encore écoulé depuis le désastre du Grand Sable, quand une trombe s'abattit sur la Colonie, et, en quelques heures la couvrit de ruines (22 décembre).[4]


1876, débuta par un ouragan qui vint augmenter la désolation, la misère et les ruines : conséquences de la trombe du 22 décembre. De mémoire d'homme, on n'avait vu une série aussi persistante de désastres. La série des cyclones commencée en 1872 fut interrompue en 1877. [5]

1879 : la Colonie ne fut pas longtemps épargnée par les cyclones ; un ouragan vint de nouveau la frapper le 14 janvier ; il en résulta une recrudescence de la fièvre dans plusieurs localités durant février, mars et avril. A Saint-Benoît, entre autres, le chiffre des morts s'éleva jusqu'à 21 dans une journée. [6]

Un secours d'un demi-million arrivait à propos, car les besoins du pays allaient être augmentés par un nouveau désastre : le cyclone du 21 mars. [7]

C'est dans ce contexte marqué par le typhus et la famine ayant frappé la colonie que Fernand élargissait ses relations au sein de sa famille.

Ses parents prirent la décision de ne pas l'envoyer à l'école, malgré l'établissement de plusieurs institutions scolaires en 1874 sur l'île. Il a indubitablement dû commencer à travailler très jeune pour aider son père à subvenir aux besoins familiaux, compte tenu de la situation déplorable du pays. À l'instar de ses parents ainsi que de ses frères et sœurs, Fernand ne bénéficia d'aucune instruction formelle.

La famille vivait sans aucun doute comme la majorité des personnes défavorisées de l'époque, dans une modeste case créole en bois, recouverte de bardeaux ou de tôles ; le sol était en terre battue, sans accès à l'eau courante ni à l'électricité. Le logement comprenait une cuisine et une ou deux chambres où tous dormaient ensemble. Les toilettes étaient situées à l'extérieur de la maison.

L'alimentation des plus démunis se composait fréquemment de légumes et racines accompagnés de riz ou de maïs, et occasionnellement de volailles ou de porcs lorsque cela était financièrement possible ou lorsqu'ils les élevaient eux-mêmes.

À l'âge de huit ans, il fut confronté à son premier chagrin : celui du décès de son frère Augustin, décédé à vingt-deux ans en 1881. Huit ans plus tard survint le décès de sa grand-mère maternelle Marie Olive, suivi deux ans après par celui de son grand-père maternel et huit ans après celui de sa sœur Marie Hermine.

[3]Lorsqu'il devint adulte, Fernand mesurait 1,56 mètre et avait des cheveux châtains crépus. Ses sourcils étaient foncés et ses yeux étaient gris. Son nez était petit et épaté, sa bouche plutôt large, son visage avait une forme ovale et son teint était légèrement rougeâtre. Il présentait un signe sur la joue droite ainsi qu'une cicatrice sur la mâchoire inférieure gauche.

[4]Le 26 novembre 1895, à l'âge de 22 ans, il épousa Marie Valentine HOARAU, âgée de 16 ans. Deux ans après leur union, Marie Valentine donna naissance à Fernand Benoît, né le 27 juin 1897 à la Rivière Saint-Louis, suivi d'une fille, Marie Lucina, née le 1er août 1900 à la même localité.

[5]Un mois après la naissance de son fils, il fut condamné à 24 heures de prison pour pêche sans autorisation dans la rivière domaniale par le Tribunal de Police local.

[6]Neuf ans plus tard, il reçut une seconde condamnation pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de donner cette dernière à son épouse.

[7]Le rapport du Parquet de Saint-Denis mentionne les éléments suivants : « Le 14 août 1906, Ferdinand DIJOUX, cultivateur âgé de 33 ans et résidant à Saint-Louis, ainsi que son épouse Marie Valentine HOARAU quittèrent leur domicile situé au lieu-dit « La Rivière » très tôt le matin.

Ils se rendaient sur un terrain éloigné pour cueillir des herbes et des racines destinées à nourrir leurs porcs tout en conduisant un bœuf qui devait être chargé.

En chemin, à 1m50 de leur domicile, une altercation violente se produisit, selon le récit du mis en cause, suite aux reproches qu'il adressa à sa femme concernant son comportement.

Fernand DIJOUX prit une pierre et frappa sa femme violemment à la tête. Ce geste lui causa plusieurs blessures entraînant des lésions cérébrales et une hémorragie abondante, conduisant rapidement au décès de la victime. »

Fernand DIJOUX a été arrêté et incarcéré à la prison de Saint-Pierre le 16 août 1906. Le 31 octobre 1906, il a été condamné à un an de prison pour tentative d'évasion et bris de prison par le Tribunal Correctionnel de Saint-Pierre, puis placé au cachot pendant quinze jours. Puis il a été transféré à la prison centrale de Saint-Denis.

Le 27 décembre 1906, la Cour d'Assises de Saint-Pierre l'a condamné à quinze ans de travaux forcés avec interdiction de séjour, avec possibilité de libération prévue pour le 16 août 1921.

[8]Le 25 juin 1907, il fit une escale au dépôt des condamnés d'El Harrach en Algérie, où il fut incarcéré pendant six mois dans l'attente de son transfert définitif vers Cayenne. Le 28 décembre 1907, il embarqua à bord du vapeur Le Loire à destination de la Guyane Française. À son arrivée, il fut assigné aux tâches les plus ardues et ingrates au sein des camps agricoles et forestiers, ainsi qu'à la construction des routes.

Après deux années passées au bagne dans des conditions extrêmement difficiles, marquées par des mauvais traitements, une sous-alimentation chronique et la malaria, Fernand décida de s'évader. Il réussit dans cette entreprise le 26 octobre 1909 depuis le camp Malgaches, lequel accueillait les condamnés originaires d'Indochine et de Madagascar.

[9]Dans le procès-verbal établi suite à cet incident, il était mentionné ce qui suit : « Nous constatons que Fernand DIJOUX n'a pas répondu à l'appel de son nom. Les recherches entreprises pour le retrouver se sont révélées infructueuses ; par conséquent, nous déclarons le transporté en état d'évasion. »

Mais où était-il parti ? La réponse à cette question se trouve dans une lettre adressée à son fils Fernand Benoît, rédigée par l'un de ses complices et remise ultérieurement au procureur général de la Réunion, probablement par des membres de sa famille.

[10]Dans une lettre datée du 2 mars 1913, il informait son fils de son évasion et de sa vie à Gatun, au Panama, sous le nom de Martial PAISE. Après un séjour initial au Surinam, il avait passé un an au Venezuela, constatant qu'il ne parvenait pas à gagner suffisamment d'argent. Il avait finalement réussi à se rendre au Panama où il travaillait pour un salaire de 7,20 Francs en monnaie d'or.

Il sollicitait la venue de ses enfants et de sa mère auprès de lui et demandait à l'un de ses beaux-frères de louer les terres qu'il possédait avant son incarcération afin que sa mère et ses deux enfants puissent financer leurs billets pour le rejoindre.

[11]Cette correspondance fut transmise au Gouverneur de la Guyane Française dans le but d'organiser son retour via le consulat français au Panama, puisque le 5 août 1913 une note interne de l'administration pénitentiaire de Guyane demandait de fournir la fiche anthropométrique et la pièce d'identité du transporté DIJOUX Fernand au 2e bureau. Le 29 septembre 1913, Fernand a été arrêté dans la zone du canal au Panama. Il a été entendu par les autorités panaméennes et a déclaré ce qui suit :

[12]« Il y a environ huit ans, la Cour d'assises de Saint-Pierre m'a condamné à quinze ans de travaux forcés pour le meurtre sur la personne de mon épouse. Après avoir passé cinq ans au pénitencier de

Guyane, j'ai réussi à m'évader et je suis allé me fixer à Colon où je travaillais au Canal en qualité de terrassier. Ayant réalisé quelques économies, j'ai écrit à ma mère pour la prier d'amener mes deux enfants à la Martinique où je devais venir les prendre. C'est ce qui fut la cause de ma capture, car au moment où j'allais prendre à la poste une lettre que m'avait envoyée ma mère, j'ai été arrêté par la police américaine ».

[13]Le 17 octobre 1913, Fernand embarqua à Fort de France sur le paquebot « La Guadeloupe » en provenance de Colon pour sa réintégration au bagne de Guyane. À son retour au bagne, il reçut une peine supplémentaire de deux ans de travaux forcés le 16 juin 1914, prononcée par le Tribunal Maritime Spécial de Guyane. En conséquence, sa date de libération initialement prévue pour le 16 août 1921 fut reportée au 19 juillet 1927. Le temps passé en évasion n'a pas été pris en compte dans ce délai.

[14]Sa détention fut marquée par diverses sanctions entre 1914 et 1915. Alors qu'il se trouvait dans le camp de Guatemala depuis son retour, il tenta à nouveau de s'évader, réussissant ce fait le 6 novembre 1916. Le procès-verbal d'évasion indique qu'il était affecté au jardin de la colonisation et n'a pas répondu à l'appel de son nom. Les recherches menées dans le camp et ses environs pour le retrouver furent infructueuses ; ainsi, il fut déclaré en état d'évasion. Dans la lettre jointe au procès-verbal, il est précisé que la responsabilité du surveillant ne peut être engagée étant donné que le camp Guatemala est un camp ouvert.

Selon les informations contenues dans son dossier individuel, Fernand DIJOUX ne semble pas avoir réintégré le bagne. Par conséquent, il est impossible d'établir la date et le lieu de son décès, ainsi que l'identité sous laquelle il a été inhumé.

Dans son poème intitulé : Liberté, Paul ELUARD écrivait ceci : "Et par le pouvoir d'un mot, je recommence ma vie, je suis né pour te connaître, pour te nommer Liberté", c'est probablement ce que fit Fernand ailleurs dans un autre pays.



[1] Actes de naissance aux Archives nationales de l'Outre-Mer

[2] [1] à [7] Source : L'histoire abrégée de l'île Bourbon ou de la Réunion depuis sa découverte jusqu'en 1880, par un professeur d'histoire sur Gallica

[3] Elément dans sa fiche individuell du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'outre-Mer

[4] Acte de mariage aux Archives Nationales de l'Outre-Mer

[5] Elément dans sa fiche individuelle du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'outre-Mer

[6] Elément dans son jugement du 27 décembre 1906 des Archives Nationales de l'outre-Mer

[7] Elément dans son dossier de la prison de Saint-Denis des Archives Nationales de l'outre-Mer

[8] Elément dans son dossier du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[9] Procès-verbal du 26 octobre 1909 du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[10] Lettre du 2 mars 1913 dans son dossier individuel du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[11] Elément dans son dossier du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[12] Procès-verbal de la gendarmerie de Fort de France du 30 octobre 1913

[13] Elément dans son dossier du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[14] Elément dans son dossier du bagne de Guyane des Archives Nationales de l'Outre-Mer

LIEU DIT LES ALOES A SAINT LOUIS 974 - MAPACARTE
LIEU DIT LES ALOES A SAINT LOUIS 974 - MAPACARTE