MARIE-FELICIE ET LES PERIPETIES D'APPOLINAIRE

04/02/2024

APOLLINAIRE - MATRICULE 

N° 39650

C'est l'histoire d'Apollinaire TECHER, le second époux de mon arrière-grand-mère maternelle Marie Félicie MUSSARD que je vais vous rapporter.

[1]Née le 28/04/1865 à Saint-Joseph à la Réunion, Marie Félicie est issue d'une famille recomposée, avec un père qui en est à son troisième mariage et une mère à son second. Son frère Antoine, l'aîné de sa fratrie, meurt à sa naissance en 1862, elle est la cadette de cette union.

[2]Lorsque mon arrière-grand-père Damien Morel se marie le 18/05/1880, elle a 15 ans et lui 21 ans. Ils seront père et mère de quatre enfants, dont les deux derniers paraissent adultérins. Plusieurs indices que je possède laissent penser à cette « hypothèse » que je vous présenterai ultérieurement dans ce récit.

[3]François est né le 14/09/1881, mon grand-père maternel, Prosper, est né le 09/09/1883, Marie Apolline meurt 25 jours après sa naissance en 1886 et Pierre Jacques est né le 30/10/1887. Damien reconnaîtra chacun.

Dix ans après leur mariage, le 21/04/1890, Damien demande le divorce. La raison : l'infidélité de Marie Félicie ! [4]Lors de la décision de divorce, il est mentionné : « … entendue à ladite enquête que la dame Marie Félicie, épouse du demandeur, a, depuis plus de trois ans, déserté le toit conjugal ; qu'actuellement encore, elle vit en concubinage. Attendu que la désertion du domicile conjugal constitue une injure grave, que l'adultère est une cause péremptoire de divorce. Attendu que dame Marie Félicie, domiciliée à Saint-Joseph, demeure à Saint Pierre... »

Lorsqu'elle sera divorcée de Damien, elle n'a que 25 ans. Les enfants de cette famille ont neuf, sept et trois ans.

Cependant, qui était cet individu dont Marie Félicie s'est tellement éprise au point de supporter ses infidélités, les rumeurs du quartier, ses nombreuses incarcérations et ce meurtre perpétré un soir de janvier 1909 ?

[5]Né le 9/02/1850 à Saint-Louis, Apollinaire était âgé de 15 ans de plus que Marie Félicie, il était marié jusqu'en 1901, date de la mort de son épouse, et avait huit enfants avec elle. Il était de confession catholique. Il avait une taille de 1,65 m, des cheveux gris, des sourcils noirs, des yeux gris, une barbe blanche, un nez ordinaire, une bouche moyenne, un menton rond, un visage ovale, un teint blanc. Sa formation scolaire se situait à l'école primaire.

[6]Il savait lire, écrire et compter. Il gagnait sa vie grâce à son commerce. On ne le connaissait pas comme un ivrogne, mais il était libertin et débaucheur. Les forces de l'ordre le connaissaient pour trois condamnations antérieures à l'affaire qui l'emmènera au bagne.

Tout au long de son concubinage avec Marie Félicie, il aura encore des enfants avec son épouse et aura d'autres relations.

Il aura une fille, Apollinie Marie, en 1886, avec son épouse, et la même année, Marie Félicie, toujours mariée à Damien, aura une fille, Marie Apolline Félicie, et l'année suivante, Pierre Jacques, reconnu par Damien.

N'oubliez pas que dans son jugement de divorce en 1890, il est mentionné que celle-ci quitte le domicile conjugal et vit en concubinage depuis plus de trois ans à Saint-Pierre, où son amant et sa famille vivent.

Les deux derniers enfants, Pierre Jacques (1887) et Marie Apolline (1886), sont nés pendant son concubinage avec Apollinaire. Ainsi, ils ne peuvent pas appartenir à Damien.

En fait, un rapport de police démontrera bien plus tard qu'il a eu des enfants adultérins.

En outre, le prénom de son fils sera celui de Pierre Jacques, prénom du père d'Apollinaire : Pierre Jacques Florestan, et non celui du père de Damien. En ce qui concerne le prénom Marie Apolline, il est évident que ce prénom est proche d'Apollinaire. Par ailleurs, elle y ajoutera un second prénom Félicie comme pour sceller cet amour impossible.

[7]Avec Marie Félicie, Apollinaire a eu quatre autres enfants, mais ils n'ont pas été reconnus par celui-ci, qui était toujours marié à son épouse. En novembre 1903, deux ans après la mort de la femme d'Apollinaire, ils se marièrent. De son côté, Damien mourut en 1898.

[8]Apollinaire a été condamné pour la première fois à huit mois de prison pour vol, abus de confiance par la Cour correctionnelle de Saint-Pierre trois jours après la naissance de leur fille en 1896.

[9]Deuxième condamnation d'un mois pour coups et blessures volontaires le 29 avril 1897. Il sera condamné pour une troisième fois à un an de prison pour vol, le 29 mars 1900.

[10]Les Assises de Saint-Pierre vont le condamner pour la quatrième et dernière fois, le 24 décembre 1909, à mort pour vol qualifié, assassinat et incendie volontaire. Décision gracieuse du président de la République du 25 avril 1910 commuant la peine en travaux forcés à perpétuité.

[11]Afin d'approfondir votre compréhension du personnage, je vais vous donner une description de ce qu'il est mentionné dans un rapport de police du 3 décembre 1910 rédigé par le commissaire de police de Saint-Pierre. Il y écrit :

« Le condamné Apollinaire était d'un caractère violent et sournois qu'il savait dissimuler d'une façon parfaite aux dépens des étrangers, sous des dehors mielleux et obséquieux. Il était la terreur des habitants de son endroit, il savait capter la confiance des étrangers qui l'approchait, ce qui lui permit de commettre de nombreux vols dont plusieurs n'ont pas été portés à la connaissance de la Justice.

Tels les vols suivants : 500 francs à une personne, 300 francs à une autre et enfin argent et marchandises à une troisième. Après avoir attiré ces personnes dans la boutique, il les faisait boire jusqu'à l'ivresse et les dépouillaient ensuite.

Apollinaire avait une conduite exécrable, on lui connaissait plusieurs maîtresses et des enfants nés d'un commerce adultérin, n'ayant pour entretenir ses maîtresses et enfants que le peu d'argent que lui rapportait la petite boutique qu'il tenait au 19 kilomètres de la plaine des Cafres, il devait nécessairement voler pour satisfaire ses passions.

Beaucoup de victimes ne portaient pas plainte dans la crainte d'une vengeance de sa part.

Cependant, que s'était-il déroulé pendant la nuit du 20 au 21 janvier 1909, lors du vol, de l'assassinat et de l'incendie ?

[12]Voici la description dans le jugement des faits qui ont conduit à la condamnation.

« Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1909, dame Augustine Féron, plus qu'octogénaire, et sa fille Fanny Féron, également âgée, habitant au vingt-deuxième kilomètre de la Plaine des Cafres, étaient férocement égorgées dans leur demeure et celle-ci incendiée. Le vol était le mobile de ce double assassinat. La femme qui travaillait chez les victimes depuis plus de trois ans, Dame Brune (prénom de son époux) dont elle avait su s'attirer la confiance, voire des bienfaits, fut immédiatement soupçonnée, car seule elle savait que ses patronnes possédaient des économies. La découverte à son domicile de vêtements tachés de sang et de ses réponses embarrassantes amenèrent à son arrestation et aussi celle de sa fille Anastasie âgée de 18 ans qui habitait sous son toit.

Celle-ci contre qui pourtant n'existait aucune charge sérieuse entre presque immédiatement dans la voix des aveux où elle fut bientôt suivie par sa mère. Toutes accusèrent formellement Apollinaire, boutiquier établi au dix-neuvième kilomètre, d'avoir conçu cet abominable forfait qu'il perpétra ensuite avec leur concours. Apollinaire protesta de son innocence, se prétendant victime de la haine de la dame Brune dont il avait détourné l'une de ses filles alors qu'elle-même était sa maîtresse.

Pourtant, il fut établi que quelques heures avant le crime, il avait eu une entrevue avec cette femme dont la coopération lui était indispensable en raison de la connaissance parfaite qu'elle avait des lieux et des habitudes des deux victimes.

De même, pendant la nuit tragique, Apollinaire s'était absenté de son domicile et dans la matinée du 21 janvier, il avait annoncé à un témoin qu'un assassinat avait été commis alors que nul encore ne pouvait le savoir. Enfin, dans sa boutique et sur les indications de Dame Brune, l'on trouvera des haricots identiques à ceux soustraits aux victimes et dont il ne put donner la provenance exacte. À aucun moment, au cours des débats, les accusés ne manifestent ni trouble, ni regret. Sans émotion apparente, dame Brune et sa fille Anastasie réitèrent leurs aveux et leurs accusations contre Apollinaire. Celui-ci, malgré les charges précises accumulées contre lui, demeure fidèle au système d'abnégations adopté dès la première heure. »

Dame Brune a été condamnée à la peine de mort pour y avoir la tête tranchée, condamne sa fille à dix-huit ans de travaux forcés et condamne Apollinaire aux travaux forcés à perpétuité au bagne de Cayenne.

[13]Dans un article de presse du journal Le Peuple de Saint-Denis du 8 janvier 1910, on peut y lire, je cite :

« … ces deux femmes furent atrocement cambriolées et assassinées. L'auteur principal est un nommé Apollinaire ; cet homme a derrière lui un passé peu clair. Il fut un vagabond montagnard, on ne pouvait guère relever contre lui des actes précis, mais il était redouté partout où il passait. Il fut pris par hasard sur certains indices inespérés. Un gendarme prit une piste qui aboutit à Apollinaire et à ses deux complices, la dame Brune et sa fille Anastasie. À l'instruction, puis aux Assises, les deux femmes accablées par l'évidence des charges contre les trois accusés finirent par tout avouer et racontèrent au détail le drame barbare. »

La rumeur publique accuse Apollinaire d'avoir tué sa première épouse afin de pouvoir épouser celle qu'il a aujourd'hui Marie Félicie et avec laquelle il vivait en concubinage longtemps avant le décès du mari de cette dernière.

Le condamné Apollinaire ne se livrait à aucun travail et n'avait aucun moyen d'assistance que le petit commerce qu'il tenait tantôt à son nom, tantôt au nom d'une personne, tantôt au nom d'une autre. »

[14]Dans un deuxième article de presse paru dans le périodique La Patrie du 18 janvier 1911 soit trois ans après le crime, il est rapporté ceci : « Apollinaire dont la condamnation à mort avait été commuée en celle des travaux forcés à perpétuité est parti, ce matin pour Cayenne. On a profité du départ de quelques gendarmes pour l'expédier dans sa nouvelle résidence. Notons qu'Apollinaire n'a jamais cessé de protester avec véhémence de son innocence et qu'il croyait bien sincèrement que son procès serait révisé. Aussi a-t-il été grandement surpris lorsque le Directeur de la Prison avec tous les ménagements voulus, lui a annoncé son départ pour le bagne.

[15]Dans un troisième article de presse dans le périodique La Patrie du 16 mai 1911, il est écrit :

"…. Chattré est un des meilleurs soldats du corps illustre par tant d'honorable exploits. Chattré est infatigable. Il ne connaît que son devoir. Il joint à une endurance et à une poigne extraordinaire, une vive intelligence qui servie par l'expérience des êtres et des choses qu'il a acquise parmi nous, lui ont permis d'accomplir de véritables prouesses. C'est Chattré qui arrêta Apollinaire l'assassin des deux dames du vingt-deuxième kilomètre de la plaine des Cafres. "

[16]Après son départ de la Réunion du 18 janvier 1911, il séjourna en février 1911 à la maison de correction de Saint-Pierre à Marseille, où il avait des crises de néphrite et d'œdème. Le 22 mars 1911, il est arrivé au bagne d'El Harrach en Algérie où il est temporairement emprisonné. Il prit alors la route le 17 juillet 1911 sur le LOIRE pour Cayenne où il arriva le 1er août 1911.[17] Apollinaire est décédé de cachexie sénile à l'âge de 64 ans, le 12 novembre 1914, au bagne de Saint-Laurent-de-Maroni en Guyane. [18]Ses objets personnels ont été remis à sa veuve à La Réunion.[19] Marie Félicie mourut le 29 mars 1928 dans son île natale à l'âge de 62 ans.



[1] Actes de naissance aux Archives Nationales de l'Outre-Mer

[2] Actes de mariage aux Archives Nationales de l'Outre-Mer

[3] Actes de naissance aux Archives Nationales de l'Outre-Mer

[4] Jugement de divorce du 21 avril 1890 des Archives départementales de la Réunion

[5] Date de naissance et description dans sa fiche individuelle du bagne de Cayenne des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[6] Elément inscrit dans sa fiche individuelle du bagne de Cayenne - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[7] Acte de mariage aux Archives Nationales de l'Outre-Mer

[8] Elément inscrit dans sa fiche individuelle du bagne de Cayenne - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[9] Elément inscrit dans sa fiche individuelle du bagne de Cayenne -des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[10] Elément inscrit dans son jugement du 24 décembre 1909 - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[11] Elément inscrit dans son dossier du bagne de Cayenne - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[12] Elément inscrit dans son jugement du 24 décembre 1909 - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[13] Article de presse du journal Le Peuple de Saint-Denis du 8 janvier 1910 dans Gallica

[14] Article de presse du périodique La Patrie du 18 janvier 1911 dans Gallica

[15] Article de presse du périodique La Patrie du 16 mai 1911 dans Gallica

[16] Elément inscrit dans son dossier du bagne de Cayenne - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[17] Acte de décès dans son dossier individuel du bagne – des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[18] Elément inscrit dans son dossier du bagne de Cayenne - des Archives Nationales de l'Outre-Mer

[19] Acte de décès aux Archives Nationales de l'Outre-Mer